BLAZE RUNNER

« BLAZE RUNNER » – Impression sur papier japonais 190 grammes. 50 exemplaires signés et numérotés.
Dimension : 70 par 100 cms

Collaboration avec le photographe Jéremy Marais,
auteur de cette photo prise à Hong Kong.

LE RETROUVER SUR LA BOUTIQUE EN LIGNE

L’histoire de la photo par Jérémy Marais :

Il est 19h30, quartier de Times Square à Hong Kong et je rejoins un ami pour l’exploration d’un complexe désaffecté qui se situe en pleine ville.

Après un 1er tour du pâté d’immeubles, le complexe est vraiment vaste, avec même un city stade en ruine, nous avons pu repérer le bureau des gardiens ainsi qu’un accès suffisamment discret à condition d’être rapide.

Un dernier Check up et on se lance. L’entrée se fait sans trop de difficulté et on commence par s’enfoncer dans ce dédale urbain.

Le 1er bâtiment est ce qu’on appelle une « coquille », pas grand chose à voir et rien à photographier. Nous montons assez rapidement pour trouver un accès au toit et aux autres bâtiments.

Alors que nous traversons un toit pour changer de bâtiment, nous entendons puis voyons un gardien faire sa ronde dans la cour. À découvert, on préfère s’allonger plutôt que de poursuivre jusqu’à la fenêtre du bâtiment suivant. On attendra de le voir retourner à son bureau avant de se remettre en marche.

Le second bâtiment est aussi une déception jusqu’à ce qu’on arrive sur le toit.

Et là, c’est le jackpot visuel, un point de vue incroyable sur les immeubles qui nous entourent !

A la fois suffisamment caché pour avoir peu de chance d’être repéré mais assez proche pour prendre conscience du nombre ahurissant de logements et de leur petite taille ! Je peux presque regarder la télévision avec eux !

Je fais ma série de photos jusqu’à l’envoyer à Jérôme Thomas pour une collaboration.

Lorsque Jérémy Marais me remet cette oeuvre photographique tirée sur un papier d’une si grande qualité, je ressens une excitation folle à l’idée de m’y attaquer. Deux ans auparavant, je lui avais acheté ce cliché dont j’étais tombé amoureux. Elle réunissait mon amour de l’urbanité et de la science-fiction.

Alors que je peins de plus en plus en détail, ce tirage grand format de 60 par 90 cm me lance un nouveau challenge. La customisation d’une photo d’un autre est toujours un exercice d’équilibriste, je crains de décevoir le photographe ou la photo elle-même. Le niveau de précision propre à cette scène tout droit sortie d’un roman de Philip K. Dick me motive à dessiner avec les outils les plus fins à ma disposition. Posca, Molotow, micro-pointes, feutres à alcool, fluo, encre miroir, tout y passe.

Je démarre par le côté droit du bloc d’immeubles après une journée bien chargée. Deux bonnes heures me sont utiles pour habiller le bout de bâtiment le plus à droite de la photo. Avant de rendre les armes pour la journée, je prends du recul et conscience de l’ampleur du chantier. Un démon me chuchote : « Tu ne vas jamais arriver au bout ». Je laisse la photo passer la nuit en lui demandant de ne pas trop bouger, histoire que les couleurs sèchent sans faire de coulures. Le lendemain, je pars sans savoir pour un marathon de plusieurs semaines. Les mines courent sur toutes les façades sans jamais faire de pause. J’en use un nombre incalculable sur ce papier de luxe. Le papier est tellement épais qu’il brûle les micro-pointes les unes après les autres. Le tag est aussi appelé « brûlure » dans le milieu…

Vu le prix de ces feutres, je les pousse à bosser jusqu’à leur agonie. Après quinze jours de travail quotidien, j’ai dû perdre quelques dixièmes de vision. La proximité avec Camille Moncomble, jeune créateur de bijoux, va me redonner la vue en me faisant découvrir un de ses outils favoris : des loupes frontales, utilisées pour sertir les pierres.

Je finis le travail bien plus à l’aise avec ce « regard assisté ». Pour transformer cette photo de vie quotidienne en cliché futuriste, je deviens moi-même un « humain augmenté ». Cet outil porté sur le front coupe la vision périphérique, toute mon attention se focalise sur la zone de travail. Je plonge dans la photo sans en ressortir pendant des heures, porté par le flot des signes et des tags qui défilent dans mon esprit. Je passe d’un immeuble à un autre tel un spiderman voyeuriste. Les marqueurs flottent au-dessus d’une ville folle directement sortie d’une matrice inhumaine. Hélas, ce panorama est réel, des humains vivent bel et « bien » dans cet enfer babylonien.

Avec un prix moyen de 13000 euros au m2, Hong Kong reste la ville la plus chère du monde ! Un prix tiré vers le haut par une sous-offre chronique et un marché composé essentiellement de petites surfaces.

Le graffiti est toujours venu chatouiller ce consensus de la propriété privée, créatrice d’une société hyper-inégalitaire. On tague ou on veut, quand on veut, en essayant de pas se faire griller. Généralement, on le fait jusqu’à ce qu’on finisse en garde à vue, condamné à payer des sommes à 5 chiffres. Beaucoup de proches sont tombés en 2001, lors du procès de Versailles, devenus insolvables à vie, interdits d’accéder à un quelconque crédit qui leur permettrait de s’endetter à vie… pour devenir propriétaires. En customisant cette photo, j’évite les balances, les postes de police et les tribunaux, les frais d’avocat, les courses poursuites mais aussi nos chers shoots d’adrénaline. Omnipotent, toutes mes journées sont dédiées à peindre ce bloc d’immeubles triste, centimètre carré par centimètre carré, du rez-de-chaussée jusqu’aux toits, le graffiti s’infiltre partout comme un virus. J’utilise toutes les couleurs, toutes les marques de markers, tout y passe. Je n’ai pas compté le nombre de couleurs employé mais je n’égalerai jamais ce record

dans une autre œuvre.

Entre deux blazes retrouvés dans les confins de ma mémoire, en équilibre sur le bord d’un balcon,
certains habitants ouvrent leur fenêtre pour m’offrir le café ou un «cheong faan», ces fameux rouleaux de nouilles de riz. Leur hospitalité me donne le courage de tenir la distance. En plein hiver Hong-Kongais, le froid me crispe les doigts, leur chaleur humaine n’est pas de refus. Katre et Seth viennent en renfort au bout de la deuxième semaine, je descends en rappel pour dédicacer tous les graffeurs que je croise dans ma pile corticale. C’est une plongée dans mes souvenirs, comme Jacques Mayol qui pénètre le grand bleu, un nom sort, Daco, un crew, SCC, puis un autre Midi, ABC, encore un autre, Aise, ODK, Fabe, ELC, Soaf, SWC, Bore, OMT, Taroe, TER, Chok, STS, Reamz, CLM, Trane, UVTPK, Mille, Obao, Ery.2 TCP et ainsi de suite. Des writers rencontrés à des époques et des âges différents, le graffiti a traversé ma vie sans la griller. Je fais sans cesse appel à ma mémoire qui est marquée d’anecdotes vécues ou entendues. Le graffiti est un milieu constitué de tellement de légendes urbaines, la plongée est infinie. Plus on descend, plus l’obscurité s’épaissit, plus il faut fournir des efforts pour remonter à la surface des noms de vandales oubliés. Toc toc, on frappe à la fenêtre de mon atelier. Je sursaute comme un noctambule réveillé par un coup de tazer. Mes loupes tombent, je retrouve ma vision périphérique alors que le palpitant redescend doucement. Il faudrait des paliers de décompression pour que je communique avec cet artiste bloqué dehors. Il a oublié ses clefs. Je sors de ma matrice, le temps de lui ouvrir la porte d’entrée du Village, puis replonge sans ressentir ni faim ni fatigue.

Accroc à ce voyage immobile, plusieurs centaines de tags défilent sur le bâtiment central. Je pense avoir terminé le cartonnage de la ville, mais en contourant un blaze avec un trait d’un demi-millimètre, je constate qu’il s’intègre mieux sur la surface de l’immeuble. Me voilà reparti pour un deuxième marathon, le sablier est renversé et je glisse sur ses grains. La tête penchée depuis trop longtemps vers le bas, mes cervicales hurlent sous le poids de mon crâne. Je me craque les vertèbres régulièrement sur un rouleau de torture en gomme dure. Je retrouve un peu de mobilité en inclinant mon plan de travail, mais mon nerf cervico-brachial, trop sollicité, chauffe et s’enflamme. Des étirements salvateurs ? Oui, mais la douleur revient comme la mémoire, c’est bon signe.

Mon démon, mon doute que le vide ne sera jamais totalement comblé s’évapore avec les dizaines d’heures de travail qui en deviennent des centaines.

Je contemple le panorama sans être totalement satisfait. Certains tags font 2 ou 3 mm mais il reste toujours une place inoccupée pour un nouveau tagueur. Je creuse toujours plus loin dans mes souvenirs, je suis à Hong Kong, en même temps je suis poursuivi par 50 lascars sur la petite ceinture, happé par un souvenir bien réel qui reprend vie à l’évocation d’un blaze de mon équipe proche : bugz. Katre se fait chasser par un berger allemand dans une friche de nuit dans notre quartier du 14ème arrondissement, Seth se cache sous une voiture pendant des heures pour échapper à la bac du 92, Rare se fait marcher dessus par un GPSR (milice du métro)… Autant d’histoires qu’il y a de blazes dans cette photo. Je suis le « Blaze runner ».

Je tiens à remercier tous les habitants pour leur soutien, certains m’ont même autorisé à rentrer chez eux pour y laisser une trace de mon passage. Malgré mon anglais approximatif, la peinture est un langage universel qui nous a réunis.

Si seulement mon œuvre pouvait alerter sur leur condition de « détention » : le terme n’est pas trop fort quand beaucoup vivent dans des pièces plus petites que des cellules de Fleury-Mérogis. En attendant que la matrice soit virussée et détruite, que tout s’écroule, que la terre avale notre cupidité morbide, on la sublime, avec l’art comme étendard. Les tags, vu comme un symbole du sale et du vandalisme par une société hygiéniste, font scintiller ici un panorama urbain sombre et extrême.