La collaboration entre Jérôme et Fabrice tisse un dialogue sans filet entre deux disciplines : la photographie et le graffiti. Sont exhibés des corps saturés de signes – linguistiques, numériques, ésotériques – qu’il faudra minutieusement décoder pour lire les univers de chair.
Les corps immortalisés par l’appareil de Fabrice, souvent nus et dévoilant fragilités, charmes ou cicatrices, sont colonisés par la calligraphie chromée et colorée de Jérôme pour une double métamorphose, picturale et organique. Notre rapport au monde – tensions, violences, joies, libérations – s’inscrit en temps réel dans notre chair. Mais la plupart du temps, ces inscriptions sont invisibles : le corps parle en silence mais sans filtre. Qui n’a jamais entendu sa voix ? « Tu vas trop loin »… « Tu peux le faire »… « J’étouffe »… « Respire »… Les signes déposés sur les photos de Fabrice matérialisent ce parasitage constant.
Le tracé n’est pas automatique : il écoute les courbes des modèles, leur répond à coup de symboles ou de chiffres, parfois magiques. Jérôme offre aux corps de Fabrice une armure alphanumérique indestructible : sa densité, ses contours et ses pulsations singulières signent et protègent chaque oeuvre sensuelle. La fusion est totale.
La nudité est un prodigieux terrain du « je ». Mais elle force attention et respect : il faut autant de courage et de talent pour poser nu que pour immortaliser la nudité, sans céder aux sirènes de la vulgarité. Une confiance et une bienveillance sans failles, patiemment cultivées, s’imposent. Une séance photo, c’est l’art des arrêts sur chorégraphie. Jérôme légende cette danse immobile sans esquisse, avec tout ce que sa main peut saisir : pinceaux, markers, squeezers, éponge, encre, …
Il signe à l’audace et à l’instinct chaque créature-création. On découvrira entre autres ses deux meilleures amies, enceintes, mutées en avatars d’une autre planète ; ou le corps de Corbyn transformé en humanoïde tout droit venu de Blade Runner. Si les références à la Sience-fiction sont nombreuses, c’est pour clamer que sans corps, pas de futur(s). N’en déplaise aux transhumanistes, l’expérience humaine est charnelle, ou n’est pas.
L’exposition « Le corps en armure » dé(sen)chaîne les corps : ils s’affichent et vibrent aux rythmes des calligraffitis de l’ancien taggueur du groupe à l’acronyme prédestiné : « STS », « sur toutes surfaces ». On se souhaite un corps plus grand, plus fort, plus massif, plus fin, plus puissant, plus résistant ? La collaboration entre les deux artistes nous exauce : elle rend les corps volubiles, invincibles, immortels.
L’invasion des corps-signes est sans limites.